Honu, Pele et Poke bowl : Paradis Perdus

Jeudi 14 Septembre 2017

Au moment de relater cette journée, de drôles de sensation m’étreignent. Tout ce que nous avons vécu, ressenti, vu, n’existe pratiquement plus. A Hawaii, les habitants ont l’habitude de dire qu’ils ne sont que les locataires de l’île, que la véritable propriétaire est Pelé, personnification divinisée des volcans (et par ailleurs joueuse de foot remarquable). On perçoit la force de ce proverbe lorsque l’on sait que tous les paradis aquatiques que nous avons découverts, ces refuges de la faune et de la flore marine sont aujourd’hui recouverts par quelques mètres de lave issus de la spectaculaire coulée de mai-juin 2018. Aujourd’hui la pierre en fusion a séché, sa source s’est tarie et il n’est plus possible d’observer à l’air libre cette luminescence issue des tréfonds du globe. Pelé est endormie et rêve sûrement avec nostalgie à tous les trésors qu’elle a ensevelis. Du moins jusqu’à son prochain réveil!

Notre journée commence par un bon petit déjeuner dans notre beau logement. Nous en profitons pour faire un petit tour du jardin que la tombée du jour ne nous a pas permis de faire la veille. La végétation est luxuriante, des fleurs un peu partout, probablement un énorme travail des propriétaires mais qui vaut le coup.

Pas d’alcool au petit dej’ pour éviter d’être L’ivre de la jungle.

Nous prenons la voiture pour aller au coin nord-est de l’île, tout au bout de la péninsule de Pahoa. Le cap Kumukahi est un désert de lave torturée, vestige de la coulée de 1960. Une piste (plutôt mauvaise) a été tracée sur la lave aplanie. Un premier parking se dresse devant nous. Des passagers d’une voiture de location sont en train de ramasser quelques débris de verre, apparemment ils ont eu de la visite par la fenêtre arrière pendant leur balade ! Cela n’incite pas trop à se garer ici ! Nous prenons alors un autre chemin, encore plus cassant sur notre droite. Je laisse le volant à Hélène plus casse coup que moi sur ce genre de terrain. La jeep et la pilote s’en sortent à merveille. Cela me permet d’observer ces paysages décharnés. La roche noire se termine abruptement dans la mer par une falaise contre lesquels des flots, déchaînés malgré le temps clément, viennent s’écraser inexorablement. Ici, l’océan cherche visiblement à reprendre les territoires que Pelé a conquis.

Cap Kumukahi.

Encore un qui a craché son pépin de coco n’importe où !

Un motif ésotérique en forme de vortex vient marquer la fin de la route et l’entrée des Champagne Ponds. A l’absence de végétation du cap s’opposent quelques palmiers suivis par une étroite mangrove. Enfin, un canal serpente entre un enchevêtrement de villas disposant pour la plupart d’un accès privatif à la lagune. Luxe, calme et volupté.

La nature est quand même bien faite.

Charmant pied à terre.

Heureusement pour nous, le bras d’eau de mer principale est ouvert à tous. En prime, il est chauffé naturellement par quelques sources géothermiques sous-jacentes. Pas de soucis pour y plonger ! Vu les conditions idylliques, le lieu est propice à une confusion de vie marine. Le corail est en bonne santé et de multiples poissons se laissent observer par les apprentis snorkeleurs que nous sommes. J’essaie de m’aventurer un peu plus loin du bord à la recherche de tortues que je sais habiter en nombre ici avant de renoncer rapidement, un peu effrayé par la force des courants.

On se contentera de ce genre de paysage pour aller plonger.

Poisson à rayures jaune et bleu.

Un peu trop de vagues pour aller au large.

Seuls au monde dans notre petit éden (la piste fait son effet pour préserver les lieux), nous profitons  d’un déjeuner à l’ombre des jeunes palmiers et parfaisons notre bronzage. Il faut dire que lors de nos sessions plongée nous sommes équipés de T-shirt anti UV, accessoire indispensable pour éviter de se transformer en écrevisse ! Au final, une bien belle excursion, au calme. Je vous la recommanderais bien si elle n’avait été ensevelie l’an dernier, se trouvant malheureusement à l’extrémité de la coulée de lave. Bien sûr, des villas, il ne reste rien non plus. Heureusement les habitants prévenus à l’avance auront pu évacuer dans le calme et la sécurité.

Ma pilote de choc reprend le volant. Sur quelques passages un peu escarpés, je dois descendre la guider pour lui indiquer ce qui me semble le chemin optimal. On en profite également pour faire quelques photos des lieux. Le soleil éclatant et la réverbération des roches noirs fait que le thermomètre monte rapidement. Heureusement une belle brise marine rend l’atmosphère un peu plus respirable.

La route nous fait faire un long détour pour au final une distance assez petite à vol de néné. Un parking de fortune à l’entrée d’un lotissement privé dont les routes sont réservées au riverain nous sert de débarcadère. A pied, nous longeons les villas cossues avant qu’une ouverture ne nous fasse découvrir les Kapoho Tidepools. Des dizaines de petites piscines creusées dans la lave sont reliées entre elles par autant de petits chenaux. La marée se charge chaque jour de nettoyer et réapprovisionner les bassins d’eau nouvelle.

Les Kapoho Tidepools.

Là encore, nous nous empressons d’enfiler notre matériel de snorkeling pour découvrir les merveilles aquatiques. L’eau chauffée par quelques affleurements géothermiques est à température parfaite. Coraux et poissons de toutes les couleurs s’épanouissent dans toutes ces petites piscines de deux-trois mètres de profondeur tout au plus. C’est un vrai bonheur de passer de bassins en bassins, attention quand même de ne pas toucher la roche volcanique particulièrement coupante. Hélène se met à traquer les zancles cornus ou idoles des Maures fascinée par leur nage aérienne.

 

Poissons jaunes à bande blanche.

 

Poissons jaunes à bandes noires.

Poissons longs.

Poissons difficilement descriptible.

 

Poisson des années 50 (en noir et  blanc)

 

Pois sont bleus.

 

Au nord, c’était les coraux.

Poisson croissant.

 

Poisson du lac (d’Annecy)

 


Les plus beaux croissants qu’on trouve aux USA.

Kapoho tidepools était un spot de snorkeling d’exception dans un paysage exceptionnel. Là aussi, tout a été réduit à néant en quelques secondes par la coulée de lave. Si le corail à tout bonnement brûlé, espérons que les poissons et notamment  les tortues ont senti le drame approcher et se sont réfugiés en pleine mer.

RIP.

Nous longeons ensuite la côte en direction du Sud. Peu de vision de l’océan mais plutôt une dense forêt tropicale qui nous entoure, nous rappelant que la région de Hilo est sujette à des nombreuses averses, espérons que pour ces deux prochains jours, nous passeront au travers des gouttes.

Nous arrivons sur d’immenses parkings dans la petite bourgade de Kalapana, la route est fermée aux véhicules à moteur. Néanmoins, les locaux flairant le business facile ont créé plusieurs stands de location de vtt. Pour une quarantaine de dollars, nous voici équipés de montures qui bien que pas franchement flambant neuves, feront bien l’affaire. Les premiers hectomètres sont assez surprenants. Au milieu d’un champ de lave noir, les habitants ont reconstruits des maisons de bric et de broc sur pilotis. Dans cet univers vierge, ces habitations aux couleurs chamarrées sont surprenantes. Au bout d’un petit quart d’heure, les constructions s’amenuisent et un petit panneau nous informe que nous entrons dans notre 19ème parc national, Hawaii Volcanoes NP.

L’humain a horreur du vide.

 

Habemus volcanum !

 

De bric et de broc.

 

19ème parc national.

Après trois quart d’heures d’effort, la route est barrée. Nous avons longé la côte sur sa droite, au loin une volute de fumée indique l’endroit où la mer et la lave descendant du volcan se rencontrent. C’est en effet le but de cette expédition, essayer d’apercevoir le flot de magma qui s’écoule depuis 1992 du Pu’u O’o, un cratère du volcan Kilauea. C’est ici que nous laissons nos fiers destriers pour continuer à pied. Problème, dans le champ de lave nouvellement créé à notre droite, aucun sentier ne donne d’indice sur la route à emprunter. Un ranger est heureusement en poste pour nous indiquer une direction et un temps de marche théorique afin de trouver les coulées de lave. C’est assez simple, il suffit de faire suivre les fumées et une tache verte de forêt, épargnée par miracle par les feux des entrailles de la terre. C’est partit.

Un peu d’exercice.

Direction le truc rouge qui brille.

Nous progressons assez difficilement sur la lave. Philosophiquement, c’est assez étrange d’avancer sur une terre plus jeune que nous. Il y a 25 ans, il n’y avait rien ici ! Le toucher est aussi très spécial, la lave semble légère, onctueuse, comme gonflée d’air. On appelle ce type de coulée, très pauvre en silice en et forme de boudin parallèle, la lave pāhoehoe.  Elle craque sous les pas, crépitante, craquante et acérée. Quelques fissures laissent des fougères s’installer en leur sein. Elles permettent également d’observer quelques stries colorées, traces des minéraux qui en fondant irisent un peu les roches sombres. Fascinant.

Depuis le début de la randonnée, nous progressions à distance d’un groupe organisé. Assez soudainement, nous nous retrouvons isolé. Au même moment, le sol autour de nous produit de lui-même des crépitements inquiétant. Le sol est assez malléable, des fumeroles s’en échappent, et indubitablement, de la chaleur irradie sous nos pieds. Ça commence à devenir légèrement flippant cette aventure.

On garde les pieds au chaud.

Nous optons pour une retraite stratégique et nous rapprochons du tour organisé, histoire de ne pas être trop isolé dans cet univers hostile. Soudain, à une dizaine de mètre de nous, un petit bourrelet de lave se met à onduler, comme animé par une respiration souterraine, la roche est vivante ! Apercevant également cela, le guide du groupe maintenant tout proche fait s’écarter toutes les personnes présentes. A peine quelques secondes plus tard, la roche se fissure et un torrent de lave en jaillit. Exceptionnel.

On ne voit pas ça tous les jours !

Je n’ai pas vraiment de mot pour décrire la sensation d’être si proche de la roche en fusion. La substance visqueuse et luminescence progresse comme animée de sa propre vie. On comprend pourquoi elle revêt un caractère sacré pour les hawaiiens. La chaleur nous maintient à distance respectable pendant que devant nous, la terre se crée. Rapidement, le flot couvre plusieurs mètres carrés qui noircissent, se grisent et se figent presqu’instantanément. Nous restons plusieurs minutes à regarder le phénomène pendant que le soleil se couche.

Alors que l’obscurité s’installe, nous observons les rougeoiements des coulées tout autour de nous, depuis le haut de la montagne jusqu’à nos pieds. Le groupe s’éloigne et nous restons devant le sol nouvellement crée et le filet de lave maintenant tari. Un nouveau bourrelet éclate et la source reprend de plus belle.

La partie argentée représente Notre coulée.

Il fait nuit noir lorsque nous décidons de regagner la route à la lumière de nos frontales. Nous ne reprenons cependant pas les vélos tout de suite. A la place, nous rejoignons le belvédère installé par les rangers pour observer la lave s’engouffrer dans l’océan. Entre les volutes de fumée, la rivière rouge est bien visible, fâcheusement, sans trépied, les photos nocturnes sont un peu floues.

Là où le magma rencontre l’océan.

Le retour à la lumière artificielle se passe bien, nous croisons pas mal de monde dans le sens inverse qui vont profiter de l’obscurité totale pour repérer la lave plus facilement. Cette journée extraordinaire se termine ainsi. C’est probablement le jour le plus fou d’un voyage pourtant riche en émerveillement. Aujourd’hui, il n’en reste que de beaux souvenirs et ce petit récit en forme d’hommage à ces paradis ensevelis.

 

 

 

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